Et si je m'endors

 
  Endors-toi

Ô mon cœur

Je veille sur toi


  Tu n'auras pas d'égale

Et si je m'endors

Même dans ton absence


  Tu n'auras pas d'égale

Ô mon cœur

Endors-toi


     Même dans ton absence

L-un-a

L, la lettre, la lune,

Elle, l'une, la seule,

L, annulée,

En selle

Dans la nuée.

Un La,

Donné et repris.

L'Injustice

Monté changer la housse de couette,

Mis la Sixième de Bruckner en bas.

Mais pas moyen d'entendre cette Sixième :

En changeant la housse de couette,

C'est la Huitième de Schubert qu'il entend —

Pas moyen de se l'enlever de la tête !

Johnson Johnson est très mécontent :

Quel est le véritable coupable ?

Schubert, Bruckner, la housse de couette ?

Comment les départager sans être injuste ?


Boum boum boum boum !

Oh ! quel luxe dans l'hystérie

Quand elle se frappe le poitrail

Sans faire tremper les poires

Dans le bouillon aux espèces !

Virons le boudin

Virons le boudin, dit Kagi,

En grande joie chez les danseurs !

Virons le boudin, ça fera

De la place pour la rumeur.


Sur l'extincteur, il s'est assis

Comme un prince du Sahara

Dont la morsure ne fait peur

Qu'à la diablesse presque à l'heure.


Léon n'a dardé son fémur

Que pour agiter la saumure.

Virons le boudin, sa parlure

Et toute sa nomenclature !

La Fuite

Et un livre de plus en moins…

(Pour ma grand-mère, je ne sais pas,

Mais pour Hegel, c'est certain !)

Marquise d'encre

« Ton silence est un verre en cristal : je le brise. »

Tu es grise et bien mise, lorsque tu es assise.

Je jette l'ancre sur ta banquise,

Au bon moment, comme une surprise,

Et je me rue sur ta cerise

Gonflée d'encre et de sottise.

La vie merveilleuse de Faconde Norwest

Faconde Norwest termine son article

Qui s'intitule "La Vie merveilleuse".

Tout à l'heure elle prendra l'avion

Pour rejoindre Johnson Johnson

Et ils vivront merveilleusement sous

Un ciel bleu comme un 11 septembre.

Tout est en ordre, voilà

Ce qu'il fallait écrire.

Un Courrier pour Élise

Le dompteur de mandragore

Se chauffe dans les églises

Toujours mieux que dans le corps

De celle qu'on nomme Élise

Qui, de sa lettre cachée,

Fait un enjeu de papier,

Tandis que sur le clavier

Toute son âme épanchée

Nous commande de la fuir,

Même et surtout pour le pire !

Liquide et noire

Et peu à peu il devient la mère,

Sa mère. Il parle avec ses mots,

Elle parle à travers lui. Ils se

Confondent, ils se rêvent l'un

L'autre. Ainsi, pendant qu'elle

Sort de la mort il sort de la

Vie et il se croisent sur un

Pont suspendu. Il se croise

Lui-même, elle se croise

Elle-même, il entre dans la

Mort pendant qu'elle entre

Dans la vie et leurs deux

Entrées sont une même sortie

De l'intermonde qui les a

Nourris jusqu'à les étouffer

De liquide et noire lumière.

Le Dictionnaire

Je ne m'y trouve pas !

Et pourtant, mon

Nom est singulier.


Tu dois déchirer les pages

De ton dictionnaire.

Alors, dans la poussière de papier,

Tu sauras qui tu as été.

Seulement ça

— Que veux-tu dire ?

— Que je ne peux pas.

— Tu ne peux pas dire ?

— Si, je peux dire

Que je ne peux pas.

— Mais à quoi bon ?

— Si je ne le fais pas,

Tu ne le feras pas.

— Pourquoi ne le ferais-je pas ?

— Parce que tu ne peux pas.

— Mais moi aussi je peux

Dire que je ne peux pas.

— Peut-être, mais moi

Je ne me pose pas la question.

— C'était donc ça ?

Seulement ça ?

— …

Le Souci de Kagi

Kagi dut tradire un texte

Qui n'en avit nul besoin.

Au sommet de la tir,

Elle était li, à moitié nue.

Quand elle se jeta dans le v(i)de

Ce fit dans une langue étrange.

Il se souvient de tous ces (i),

Qui lui causaient bien du souci.

Perdre

Ayant perdu ses deux jambes, Johnson

Johnson n'a pas pu partir en voyage.

Dix fois qu'on lui dit de mieux les ranger !

Palimpseste

Assis à sa table d'écolier,

Il répète : « Palimpseste, palimpseste… »

Tout en frottant le bois taché d'encre.

(Dans son esprit,

De pâles images d'inceste

Luttent faiblement avec

La lueur pâle de

La sueur morale.)

Frotte plus dur, Kagi,

Découvre-toi devant la Maîtresse !

Là-dessous

Kagi se tape le front :

« Il y a de la frontière, là ! »

Terreur sacrée et salmigondis de couleurs.

« Plongée à dix mètres, Commandant ! »

Oui, je sais, nous allons tous mourir.

Ici

Il n'écrit pas pour vous !

Il n'écrit pas non plus pour lui-même.

Il n'écrit surtout pas pour écrire.

Il n'écrit même pas pour être lu.

Et d'ailleurs il n'écrit pas.

Il aurait pu écrire.

Il aurait pu composer.

Il aurait pu peindre.

Il aurait pu travailler,

Mais il ne travaille pas, jamais !

Il aurait voulu travailler,

Il aurait voulu avoir des idées,

De l'inspiration, des angoisses,

Des trous de mémoire,

Des passages à vide.

Il aurait voulu pouvoir dire

Qu'il était pressé par la hâte

De terminer son travail,

Qu'il ne voulait pas mourir

Avant d'en avoir fini.

Il aurait aimé compter les pages,

Compter les signes, les mesures,

Estimer la durée d'une transition,

Insérer des points d'orgue et des tirets,

Hésiter sur un adjectif,

Il aurait voulu avoir des remords,

Se réveiller en pleine nuit et

Courir à sa table de travail,

Renverser l'encrier, jurer,

Marcher sur la queue du chien,

Brûler des manuscrits,

Débrancher le téléphone,

Avoir des idées de suicide.

Il aurait adoré jouer au piano

Ses premières esquisses

Et alors se mettre à pleurer

Comme un enfant abandonné.

Il aurait juré qu'il avait encore hier

De la peinture plein les doigts

Et même dans ses cheveux.

Il a cru voir des pinceaux, des tubes,

Des crayons, des châssis,

Des gommes, des règles,

Il croit sentir l'odeur de l'essence,

Et celle du vernis, et même

Celle du papier mouillé.

Il croit avoir vécu,

Il croit vivre,

Il croit rêver la nuit,

Il croit avoir été jeune autrefois,

Il croit avoir perdu du temps,

Il croit avoir cru,

Il croit voler, savoir voler,

Et il sait qu'il sait rêver,

Oui, il sait rêver,

Comme personne,

Et dans son rêve, il rêve

Qu'il rêve d'un rêve

Dans lequel il n'écrit pas,

Il ne compose pas,

Il ne peint pas,

Il ne travaille pas,

Mais il dort,

Il dort pour pouvoir rêver

Qu'il rêve en rêvant

De n'avoir jamais travaillé,

Ni peint, ni composé.

Et alors, au lieu de se réveiller,

Pour passer de ce rêve-ci

Dans celui-là, il choisit

D'écrire qu'il meurt

Pour mourir enfin,

Vraiment, ici et là,

Maintenant vraiment,

Sans regret ni espoir

Ni désir ni appréhension.

Passant

Muet comme un mot abandonné,

Il passe et repasse sur la page,

Donnant au silence l'aspect

D'un spectre musicien

Installé entre les lignes.


Charles

Charles traînait, encore,

Comme Baudelaire, mais

Sans laisser de traces

Sur le piano.

On l'avait aperçu à

La fenêtre d'en haut,

Qui rêvait tout bas.

Merveilleux

Furieux, mélancolique, inquiétant,

J'ai de Roland l'œil noir et la cuisse étroite.

À la naissance, on a cru que mes oreilles

Manquaient.

Elles se tenaient seulement près des ventricules

Et il m'a fallu cinquante ans

Pour les faire remonter

Jusqu'à mes yeux.

Au téléphone

Quand elle m'appelle de son téléphone portable

Elle prend une voix d'enfant.

Quand elle m'appelle de chez elle

Elle prend un casse-noisette.

Tropes

Il faut encore que je prenne mes oxymores…

J'avais pourtant bien dit à ce fichu médecin

Que je supporte mal les tropes,

Au printemps !

Voisinage

Par temps sec,

La voisine me montre sa double anche !

Si elle s'imagine que je vais souffler dedans,

Cette vieille folle…

Les trois grasses et le diapason

Celle-là était toujours impeccablement à 440.

Celle-ci était souvent trop bas.

La troisième, pour échapper à toute évaluation,

Cambrait ses jambes comme un bémol en cloque.

« Je suis baroque et je m'en moque ! »

Soufflait-elle dans le grand foc.

Confiture

Faconde va nous préparer sa gelée

En accompagnement de l'Agneau pascal.

Cette année, les clitoris sont en avance !