Réveillon(-le)

— Au ciel, au ciel, au ciel !

— Quoi, qu'est-c'qu'i s'passe, encor' ?

— Rien, Mon Dieu, je vérifiais que vous étiez là.

(— Bon Dieu, c'qui sont cons !)

Redevance

Le Solitaire écrit des vers,

Bach du contrepoint,

Et Faconde des lettres d'insultes.

Tout cela ne fait aucun bruit

Sur la déclaration.

Préalables

D'un Z il s'est débarrassé du ciel,

D'un H du bruit de ses congénères,

Et par le O il a disparu

Corps et âme.

Il peut maintenant se mettre au hautbois,

Face à l'océan.

Dormir

Tout doucement,

Céleste le berce

Avec sa trompe.

Il s'endort

En écoutant Poulenc.

« Maman, tu ne vas pas mourir ? »

Les deux sœurs

Katia casse sa corde,

Marielle répare sa pipe.

Dans Schubert, ça ne s'entend pas.

Régime

Qu'est-ce que la polésie, demandait le Chef ?

La Slovénie et l'Antarctique à la vapeur,

Répondait infatigablement Kagi.

Oui, mais sans sel, ajoutait le docteur,

Assis à la grande table ronde.

Mille jours après,

Le théâtre d'os fermait.

Aimable

Quand je veux être aimable, tout le monde a peur.

Si je voyage dans des contrées hostiles,

Je fais des sourires et des sourires alentour.

Les gens alors se détournent et se cachent

Dans les portes des immeubles.

Moi, je passe, porteur de sourires, hilare,

Embassadeur de l'amabilité terrifiante.

Que les paysages sont beaux,

Quand on les traverse en souriant !

Concerto vingt-et-unième

« Radu, mon gros loup,

Tes doigts sur mon cou

Font un effet fou ! »

Comme mes doigts sur son beau cul

Longtemps après sont à l'affût !

(Il n'y a rien de tel

Qu'un concerto

Pour aller avec elle

Se coucher tôt.)

Récit du chat


Chaque jour est un tombeau pour le sens,

Alors que la nuit…


Dans ma poche, une pelote d'aiguilles.

Quand je veux la sortir,

Je m'aperçois que beaucoup d'entre elles

Ont transpercé mon sexe.

Sur l'une de ces aiguilles

Est écrit quelque chose

Et ce récit est vital.


À la grande admiration dégoûtée

De ceux qui m'entourent

Je retire une à une les aiguilles de mon sexe


Les mots sortent peu à peu

Dans une douleur fulgurante

Mais cette douleur est aussi

Un plaisir silencieux


Je deviens chat

Et l'aube  

M'envahit

Jusqu'à l'os.

Agenda

Je voudrais…

Je pourrais…

Il faudrait…

C'est déjà bien assez pour aujourd'hui.

(…)

Demain, je serai !

C'est vrai

Il dit : "J'écoute !"

Mais il sait que c'est faux.

Il prend un livre, l'ouvre,

Et dit : "Je lis !"

C'est encore faux.

Alors il fait attention

À sa respiration.

Mais ce n'est pas respirer, ça.

À ce moment-là, il sent

Une tape sur son épaule,

Se retourne, et entend :

« Tu es en train de mourir. »

Il n'a pas le temps de se dire :

"C'est vrai."

L'Amendement

— Faconde, est-ce qu'une femme cesse d'être une imbécile quand on l'aime ?

— Évidemment ! C'est l'article premier de notre constitution !

— J'introduirais bien un petit amendement, Faconde…

— Retirez immédiatement ce petit doigt, Albert !

Dormir

J'ai dormi dans l'oubli,

Toutes les permissions données.

Surtout : je dois ressusciter !

Autres boucles

À 19h15, je traversai la Moselle.

À 19h45, je la retraversai.

À 20h15, encore.

Je sais :

Tout le monde s'en moque.

Mais quand l'homme de verre

Tombera du ciel, ne venez

Pas me le reprocher !

Boucles blondes

À peine né il faut mourir.

Je suis certain que si l'on demandait

Leur avis aux prêtres

Ils voudraient un peu de rab.

Seules les stars trouvent le temps long,

Mais elles n'ont pas très bien connu Einstein,

Et puis elles sont de toute façon

Toujours en retard.

À peine né il faut mourir,

Répétait sans cesse ma nourrice

Qui en savait quelque chose.

Il fut un temps où j'allais au cinéma

Avec mes petites amies.

À la sortie nous mangions

Une crêpe au beurre

Dans la rue Saint-André des Arts.

À peine né il faut mourir :

Personne ne l'a dit à Jérôme,

Et je ne sais même pas

S'il a bien compris la leçon.

L'arc était si tendu que la flèche

Est partie avant le désir :

Aucune parole, seulement

L'andante grazioso de la

Onzième sonate de Mozart,

Joué par mon père en

Revenant du cimetière.

Feu rouge



Il avait envie de hurler

Mais quand il ouvrait la bouche

C'était des larmes qui en sortaient

Et l'étouffaient.

Alors il souriait

Comme un idiot.

Absence

Pour moi, l'absence est une malédiction.

(La nuit dernière, je n'ai pas assez bien prié.)

Pour moi, l'absence est une bénédiction.

Le Majeur, par la poste

Allô, Madame, je t'envoie une asperge !

Une asperge séparée de sa botte,

Une asperge toute seule, unique,

Une asperge joyeuse et gracieuse.

Quand tu la recevras, écoute,

Oui, écoute la dixième sonate de Mozart,

Celle en ut majeur.


— Je suis à tu et à toi.

Le soir croire sans voir dans le noir (loin)

Papa a dit : « Faut pas croire…

Circulez, y a rien à voir !

Traboulet mange des poires

Et vous voyez tout en noir. »

Puis il s'en fut dans le soir

Et tous se remirent à boire.

La morale de l'histoire

Donnerait soif à la Loire.

Après le spectacle

Comme un billet d'amour

Le serpent a dansé

Sous cette étoile acide.

[Rien n'aura lieu que le mieux

Sans espérer les cieux

Allons donc au pieu.]

« Il vous nourrira d'oignons crus, et vous fera

Écumer sa soupe de cuivre épicée au soufre. »

Eh bien justement ! Le même rythme qui sou-

Lève les houles de la mer et de l'amour…

Se tromper à ce point, il faut le faire exprès.

Fugue

L'eau claire, blancheur,

La joie des poissons qui

Ne peuvent se mordre la queue.

Le mot désire le sens

Mais le sens a la migraine.

Comme les larmes d'enfance

À l'assaut du soleil :

Le sang !

Pâle farce : l'Opti'miasmes

Sur Mars, la Câpre en grâce,

Sainte furie mère du Lieu,

Me prend dans son pieu :

Kagi, nous allons dresser une tente,

Le Lion vert doit se reposer

Et tu dois t'adresser aux polètes.

(Dresser une tente, elle est bien optimiste !)

— Je ne parlerai que si

Marthe et son métatarse

Me courent sur le torse.

C'est déjà assez de devoir

Boire du lait de chamelle

Quand il faut tâter

De l'écart sans trace !

(J'ai souvent l'impression que

L 'optimiste de Sparte

Est une tarte atteinte.)

La garce, de carte en farce,

Fait des sauts de quarte

En direction de Parsifal.

Manquerait plus qu'elle

Se mette en carpe

Pour danser le tango !

Allons faire donner les cors

Pour apaiser sa fureur

Couleur moutarde…

(Rien ne nous consolera

Jamais de la belle Sonate !

Rien que d'y penser,

La vigie voit partout

Une bonne terre grasse

Et l'entrée des artistes.)

Pas vraiment dans son assiette,

Faconde se met en quatre

Et finit par m'envoyer

Ad patres — et au désert

(Cela devait finir ainsi).

Les lions verts font de

Piètres joueurs d'harmonium.

De pals farcis ils nourrissent

Leurs catholiques avant de les

Envoyer à la cavatine.

Pour une pastorale, c'est une pastorale !

Mais ces portes sont si étroites

Que nos sprinters usent de la barre de mesure

Comme des anneaux de leurs sphincters,

Et passent le relai à la bourrée

Qui n'en fait qu'une bouchée,

En morse, staccato.

Dans le chemin creux

L'orient n'est pas là

L'occident non plus.

Le nord est perdu,

Il ne reste là

Qu'un peu de Mozart

À midi et quart.

À Mistinguett, à Réjane, à Jeanne Reynette, à Arletty

Faconde s'est assise

Sur le trou du souffleur,

Jambes bien écartées.

Après quelques secondes,

On la voit qui s'élève

Vers le ciel de l'esprit.