Ma Rose

Les roses perdent toutes leurs joues

Mais la mienne a des abcès dentaires.

Andante

Spianato, spianato !

Vous en avez de bonnes, vous !

Allons, allons, Maître,

Rhabillez-vous et rentrez chez vous,

Nous n'en parlerons à personne.

Roi du monde

— Je voudrais écrire à mon sujet.

— Et vous n'en avez qu'un seul ?

Les Angles

Là ci darem la mano

Mangiar male e mal dormir…

Pourquoi toujours des angles, Kagi ?

Parce que je ferai des cercles

Dans l'au-delà.

Incartades

Faconde conduit la voiture.

À côté d'elle, à la place du mort,

Se tient une femme en burqua,

Qui regarde fixement la route.

Personne ne parle, on n'entend pas

De mouche voler, pas la saison.

Faconde donne de grands coups de volant,

La voiture fait des embardées dangereuses,

S'approche du précipice, revient vers la falaise,

Puis repart en sens inverse.

La femme en burqua ne semble pas effrayée.

Et d'ailleurs, même si elle l'était…

Elle se contente d'accompagner des

Mouvements de son buste

Les déports brutaux du véhicule.

Faconde est en nage, elle est rouge.

Ça fume sous le capot,

Ça grince dans les essieux.

Peine perdue, Belphégor ne bronche pas.

Faconde arrête l'automobile

Près d'un lac de montagne.

Elle a beaucoup transpiré,

Elle se met entièrement nue

Et plonge dans l'eau très froide.

Tout à coup, elle suffoque,

Elle se noie, elle appelle à l'aide.

La femme en noir se met au volant,

Allume une cigarette,

Actionne le démarreur,

Met une cassette dans le lecteur,

Et fonce dans le lac, en direction

De la femme nue qui a attrapé froid.

L'art et le cochon

— Pas banale, cette fille, hein, Kagi !

— C'est vrai, elle aurait pu être tout bêtement jolie…

— Tu ne comprendras jamais rien à l'art, toi !

Dire Je !

Regarde, Kagi, le bâton !

Le beau bâton rouge, bien raide !

Avec ça nous avons tout l'horizon

En nous,

Comme le silence si rouge

Aussi

Qui sort de ta bouche.

Simplement

Quelle est la règle, aujourd'hui, Kagi ?

Elle est très simple :

Écouter la musique qui nous amènera

À la plus complète solitude.

Le niveau monte, Alleluia !

— Faconde, je t'avais pourtant prévenue !

— Quoi, qu'est-ce qu'y a encore ?

Le niveau monte, Faconde !

— Chuis au courant,

Les cabinets sont bouchés.


(En hommage à Marc Briand)

Spasmes

Océane a six ans, Albert en a soixante.

Il a une sciatique, pas elle.

Elle le laisse sur le carreau, quasi mort.

— C'est une fable, Kagi ?

— Non, je viens de lire ça dans le journal.

Coupure épistémologique

Ma voiture, une Voisin de 1935, ne tourne pas

À gauche, jamais. Elle ne peut pas.

En dehors du fait que cela m'oblige

À revenir incessamment à mon point

De départ, il y a aussi que lorsqu'une

Belle fille me dépasse, je ne peux

Pas la dépasser à mon tour.


Je ne suis pas l'homme de

La coupure épistémologique.

Les Murs

— Ma bonne Faconde, je parle aux murs !

Mais le plus extraordinaire, voyez-vous,

C'est qu'eux ne me parlent pas.

— Vous avez dû les vexer.

Citrate de Bétaïne

Je vous en prie, je vous en prie,

N'allez pas regarder la photo de Colette

Fellous, surtout pas !

La voix de musaraigne adolescente sur une figure vieillie,

Mal, ma mère, la nourriture, la claque,

Le vomi après la bière,

Tout ça sans Citrate de Bétaïne,

Nous étions rentrés dans les dortoirs

Avec le froc pesant, l'haleine puante,

Pourquoi Colette, pourquoi ?

Mark jouait comme Jimmy

Et nous offrait des Purple Haze,

Catherine n'avait pas de hanches

Mais on se branlait quand-même

Avant la douche

Avant les maths

Et Sylvie me parlait de la Chine de Mao

Où l'on avait le droit de

S'allonger sur les pelouses.

J'en fis une rédaction ridicule

Que Catherine adora

Ainsi que ma pine.

Quelque chose

Il arrive quelque chose

Quelque chose comme

Comme si c'était vrai

Sur la scène

Où coulent nos amours

Et quelque chose

Quelque vraie chose

Qu'on en puisse couler

Par dessous et puis

Mourir noyé de larmes

Sous les phrases

Toutes inutiles.

L'homme s'ennuie

Et doit travailler jour et nuit

À ce que rien n'arrive

Rien que le bien

Sous toutes ses formes

(Les crachats d'espoir

Du tubar qui danse encore

Pour le bien, pour

Le bien des morts).

Les Prénoms (du bon usage des interférences)

Finkie téléphone à Bruckner :

« Allo, Pascal, c'est Alain ! »

« Vous faites erreur, Monsieur, ici c'est Anton.

Mais je suis bien aise de parler à Philibert. »

Finkie n'a d'autre réplique que

De se coller un timbre sur le front

Et d'aller voir ailleurs s'il y est.


Blaise rit sous cape et en branche deux autres.

En mangeant des œufs brouillés

— Toutes les femmes, toutes les femmes

Peuvent se transformer en vieilles putes

Rances, sentant le hoquet moussu.

— Oui, Johnson Johnson, c'est pour cette

Raison que les hommes ont appris à oublier.

— Je crois surtout que c'est

La vraie raison de Mozart.

La Vieillerie

C'est une femme, une femme parmi d'autres femmes :

On l'appelle "la vieillerie", comme ça.

Au carrefour, l'agent lève

Le bras, et il transpire.

(Remplaçons-les !)

Arrivée

Comment en suis-je arrivé là ?

C'est difficile à dire.

Je n'y arrive pas.

Technique

— Pourquoi recouvrir de noir toutes tes couleurs ?

— Sinon, je ne les vois pas.

— Et si tu essayais le blanc ?

Quatrain populiste

Et le mauve se dépose

Sur la face des choses,

Quand les grands fauves

Se mettent à la rime chauve.

(à Ségolène Royal)

Il faut choisir !

Les monomaniaques et les hypocondres,

Les démons et les anges,

Les bourreaux et les victimes,

Les rapides et les ralentis,

Les foudroyants et les pétrifiés,

Les impunissables et les irresponsables.

L'Être et le béant (résumé)

Il observe un creux dans le ciel.

« Il observe un creux dans le ciel. »…

J'aimerais bien savoir ce que cela signifie !

Alerte orange

Le voisin s'essaie à la batterie

Mais il n'est pas très bon en rythme,

Ça crépite assez irrégulièrement.

Mais bientôt, la vitre de la chambre explose

Et mon lit est inondé.

Foutue musique !

Le Commandeur

Laure a du dentifrice sur la joue

Et un bouton sur le nez.

Duras la regarde, la regarde,

Et la regarde encore.

« Si elle avait bu, on pourrait

La faire passer pour Faconde. »

Monseigneur donne du boudin

Au chien, sous la table.

Louis et Arielle sont en pleine

Conversation sur Joey Starr.

Tout à coup, trois coups

Sont frappés à la porte…

Brague

Pétoncular Jean-Claude a le chibre enflé.

On le lui fait remarquer,

Pour son bien,

À cause des braguettes

Exaspérées,

Rugueuses, rogues, mal serties

De leurs dents cariées et byzantines,

Mais tout ce qu'il trouve

À faire

Est de crier "au feu !" et

De plonger dans la première flaque

D'eau.

Évidemment, il se fait mal.

Le Fou

Son sabre brisé en mains,

Tout jaune d'un rictus de sommeil,

Son aspect effrayant n'est dû qu'à

La terreur qu'il s'inspire lui-même.

Le Tableau

Sigtuna passe dans la rue.

Faconde le voit, son tableau sous le bras.

Elle l'appelle : « Hé, Sigtuna, où vas-tu ?

— Je vais au marché vendre mon tableau. »

Au lieu de quoi, elle le fait entrer dans sa cuisine.

Ils déballent le grand carré,

Elle met ses mains sur ses hanches :

Nom de Dieu, Sigtuna, mais quoi ?

Es-tu fou, ma parole ?


Matin au jardin

Trois odeurs :

La peinture à l'huile

L'herbe coupée

Le café chaud.

Une quatrième :

L'encre du livre que je lis.

— Viens ici que je renifle tes fesses.

Sans titre

Un ventilateur de plafond tourne.

Tout va mal, je ne t'embrasse pas.

J'ai entendu la Quatrième et j'ai pleuré

Ton corps souple est le tympan céleste

Saint Pierre dans le Ciel nous observe

Je passe le crin de mon archet sur ton dos

Je suis innocent et doux et tu m'aimes

Et saint Jérôme nous verse le vin

Toute la vie à perte de vue

Coule dans nos veines

Toutes les filles autour de nous sont belles

Mais je ne vois que toi

Sainte Ursule en rit elle-même !


Cirrus fibratus

Faconde s'est mise aux confitures :

Cette année, ce sera

Confitures de nuages.

La récolte est splendide,

Il n'y a qu'à se hisser.

Johnson Johnson lui suggère

Les cumulus-pileus en gelée

Mais elle a un faible

Pour les cirrus fibratus à l'ancienne.

Les Inconnu(e)s


— Allo, c'est moi !

— Non, c'est moi !

— Oui, c'est moi !

— Non, moi !

— Oui, toi, et moi.

— Non, moi seulement.

— Mais je te parle.

— Qui me parle ?

— Mais moi, c'est moi !

— C'est trop facile !

— Oui, c'est très simple. C'est moi.

— Trop facile mais pas simple, non.

— Mais quoi ?

— Mais qui ?

— Puisque je te dis que c'est moi !

— Mais toi qui ?

— Tu ne me reconnais pas ?

— Nous sommes au téléphone.

— Mais tu connais ma voix !

— Oui et non. Mais là n'est pas la question.

— Quelle est la question ?

— Qui parle ?

— Je viens de te le dire.

— Non, tu me dis, c'est moi !

— Mais parce que tu me connais !

— Oui, je connais ton visage.

— Mais tu connais aussi ma voix !

— Ce n'est pas une raison.

— Une raison de quoi ?

— Pour ne pas se nommer.

— Mais c'est inutile, puisque tu sais que c'est moi !

— Mais toi qui ?

— Tu es con ou quoi ?

— Peut-être, mais moi je me présente.

— Tu ne t'es pas présenté, je regrette.

— Évidemment, c'est toi qui appelles !

— Mais qu'est-ce que ça peut faire ?

— Ça change tout.

— Ça ne change rien au fait que tu me connaisses.

— Je ne parle pas de ça.

— Moi si !

— Ça recommence. Tu ne comprends pas.

— Je comprends parfaitement que cette conversation est idiote.

— Bien sûr ! Si tu t'étais présentée, on n'en serait pas là.

— Bon. OK. « Bonjour, c'est moi ! »

— Allo ?

— Tu ne m'entends pas ?

— Non.

— Mais si puisque tu réponds.

— Non.

— Tu le fais exprès !

— Ça c'est le bouquet !

— Ça fait longtemps que tu ne m'as pas offert des fleurs…

— À qui ?

— Mais à moi pardi !

— Je n'offre jamais de fleurs à une inconnue.

— C'est pour ça que tu ne m'en offres plus ?

— …

(tut tut tut tut tut…)


Rétrograd

— Chostakovitch ! Viens ici !

— J'arrive ! Attendez, je mets mon pantalon.

— Je voudrais te présenter Kagi,

Qui nous arrive d'Amazonie,

En compagnie de sa charmante épouse.

— Mais elle est à poil !

— Oui, c'est son costume traditionnel,

Ne fais donc pas cette tête !

Le Comité central veut que tu lui écrives une fugue.

— Pas trop compliquée, la fugue, hein, Chostakovitch !

— Je suis fatigué, je viens d'en écrire onze…

— Un prélude, alors ?

— Dimitri, ne fais pas ta mauvaise tête,

On va encore te couper Internet !

— Mon épouse n'aime pas les préliminaires,

Ni les commentaires.

— Allez, va pour le canon, Dimitri !

Longtemps

Assis sous la tonnelle,

Kagi attend la fin du monde.

Déjà une heure que

Nous sommes là, et toujours rien ?

Note

L'art est un sanglot.

Sois reconnaissant

Et sans détour !

Flûte enchantée

Wolfie joue de la flûte

Avec le derrière de sa cousine.

En y repensant, je me demande :

Flûte à bec ou flûte traversière ?

Mozart

Vladimir joue la K. 330,

Derrière son nœud papillon.

Artur regarde par la fenêtre,

Il tire sur son cigare, il neige.

« C'est difficile, Mozart ! »

Ils rient, tous les deux,

Comme des enfants.

Forclose Forêt

Madeleine était dure de la feuille

Quand Georgette l'était du bourgeon.

Martin avait le tronc court

Et Albert les fruits lourds.

Quelle diversité ! s'exclamait Sylvain,

Avant de franchir le seuil de la maison,

Laissant ses babouches à l'entrée.

Johnson Johnson, qui observait la scène,

À l'écart, tira, d'un air las,

Sur la corde de sa McCullogh,

Point d'orgue

Faconde est nue, allongée sur le lit,

Elle écoute Si le jour paraît de Maurice Ohana.

Pendant la Chevelure de Bérénice, elle lâche un pet.

Dans la cuisine, en train de tailler un concombre,

Georges applaudit silencieusement et se coupe un doigt.

Éthique

Nous aimons les sardines à l'huile

Et les décolletés.

D'autres préfèrent le cinéma

Et les jambon-beurre.

(La vie n'est pas une sinécure)

Allons nous déshabiller, maintenant,

Et regardons le temps passer !

La 111

Martha, Martha, Martha,

Mille fois Martha,

Et quatre fois Anna.

Franz arrive sur les chapeaux de roues

Et signe l'addition.

Pouvez-vous fermer la porte ?

Le Groupe

J'ai mis Enrique à la basse et Jessico à la batterie. Arthur est à la guitare rythmique et Berthe à la guitare solo. Adolph est aux claviers. Marcel chante. De toute la journée, il n'ont qu'un demi-concombre salé à manger, avec un peu d'eau. Ils sont filmés en permanence, même aux toilettes. Dès que l'un d'entre eux commence à trop bien jouer, il passe à un autre instrument. C'est la règle. Mes partitions sont très précises. Je ne les écris que le mardi, quand je vais aux cabinets, de 10h à 11h. La veille, je ne me nourris que de fèves et de bananes. Mes musiciens restent enfermés durant trois mois, sans téléphone, ni télévision, ni radio, ni ordinateur, de novembre à début février. Mireille Mathieu passe nous voir, une fois par mois. Elle apporte le courrier des familles. On l'adore.

Repos

Elle est dans son bain

Et de ses beaux seins

Me fait un coussin


Confessions de la femme vagale

Je suis une femme vagale,

Je sue des pastilles Valda.

Mon homme dit qu'il aime ça

Et que je ne suis pas banale.

Je ne suis pas dupe, mon Père,

Et s'il veut que je persévère

Il lui faudra manier l'amer.

P(i)lus ou la guerre du genre

— Conne, tu es conne !

— Et toi t'es con.

— Salope, tu es une salope !

— Et toi t'es un salaud aussi.

— Non mais c'que t'es conne !

— T'es vraiment qu'un pauv' con !

— Peut-être, mais un con c'est moins con qu'une conne !

— Ah bon, t'as vu ça où, toi ?

— Là, regarde, .


— Ah oui, ben merde alors ; je savais pas.

Ben dis-donc, on vous surclasse partout, hein !

— Mais qu'elle est conne !

Phonologie tactique

Why choose white shoes ?

Demande une Faconde complètement affriquée.

Johnson Johnson lui répond

Qu'elle n'a pas le choix

Et pose un doigt sur sa touche.

« Le blanc vous va si bien

Quand vous vous promenez

Sur les lignes blanches du court,

Vos cuisses roses à point,

Et ce nez bleu

En torticolis saignant… »

Jo, attendez-moi,

Attendez-moi, please !

Il faut que je me change

(Les Idées).

Neuf mots

« Neuf mots sont suffisants

Pour accoucher du désespoir. »

Faconde regarde fixement le mur,

Muette et transparente

Comme une carte postale.

Soprano

Le ressort de l'apolésie tient en une question :

À quoi reconnaît-on une Faconde ?

À ce qu'elle ne pose jamais de question.

Une Faconde authentique dé-

Pose les questions.

Kagi en parle souvent avec Johnson

Johnson, que cette question pas-

Sionne, et qui en parle aussi-

Tôt avec Cécilia Bartoli.

Ils font ensuite cuire des spa-

Ghettis qu'ils dé-

Coupent en deux in-

Égales parties avant de dé-

Coucher ensemble,

Un pied dans la syllabe,

L'autre dans l'infini.


Ballade

Longues lignes de legato

Peu à peu, la main droite passe

Par-dessus la main gauche.

C'est l'heure bleue,

Où glissent en se croisant

Le jour et la nuit,

Quand le dessin cède la place

À la couleur, déposée,

En retrait du monde

Et de sa rumeur,

Quand l'amer reflue

Vers le cœur,

Quand la mère perd

De vue ses enfants

Et retourne à la source.

Tout s'arrête, un instant.

C'est là, avant

Que le mouvement reprenne,

Qu'il faut dire adieu.

Acompte sur l'apipe (l'envers)

De fumer pour le savoir…

Cette phrase contient cinq mots

Mais celle-ci en contient six :

Ceci n'est pas une pipe

Mais un vers de huit syllabes

— À moins que ce ne soit sept —

Et vous êtes en train de lire

La pipe que je suis en train

Change pas de main


J'ai plusieurs visages.

Je m'en suis aperçu hier

Alors que le téléphone sonnait.

Comme j'ai reconnu la sonnerie,

Ce n'est pas moi qui ai répondu.

Il a répondu et j'ai écouté :

Je n'ai pas compris ses réponses

Et il ne m'a pas écouté.

Pourtant, je parlais en même temps

Mais ma voix ne portait pas.

Alors je l'ai regardé :

Ce visage m'était connu

Mais ce n'était pas moi.

J'ai compris qu'elle avait raccroché

Et je l'ai vu lancer le

Téléphone contre le mur.

Pourquoi ne m'as-tu pas

Laissé lui parler ?

Lui ai-je demandé,

Pourquoi as-tu parlé en mon nom ?

Parce que tu ne sais pas te défendre,

Parce que tu es lâche,

M'a-t-il répondu.

Me défendre de quoi ?

Ai-je demandé.

Mais te défendre de toi,

Pauvre idiot !

M'a-t-il lancé, furieux.

Mais je suis moi, enfin !

Pourquoi aurais-je peur de moi ?


J'ai vu que ses yeux devenaient fous

Et je n'ai pas osé insister.

Il a juste ajouté :

Si j'étais toi, je sais ce que je ferais

J'ai bien vu qu'il ne plaisantait pas

Mais je ne savais pas de quoi il parlait.

Seulement, lui poser la question

Aurait pu signifier qu'en effet

Il n'était pas moi.

Alors j'ai fait comme si je savais

Et j'ai fait exactement ce qu'il avait en tête.

Ensuite, j'ai allumé la télé,

On passait : Change pas de main !

Stop Affaire


El et Ça, dans une voiture.

Ça tangue, ça barde, ça hurle,

Ça déboite, ça clignote, ça dérape,

El appuie,

El essuie,

El essaie,

El fuit,

El effraie,

Et puis

Elle joue sur ma joue.

(… dans son nid.)

Boucles

1. Les mensonges des syndicats

2. Un quatre mâts qui rentre au port

3. Vingt-trois secondes en projection permanente

4. Ses cheveux comme des spaghettis

Le film est maintenant bien avancé

Et nous cherchons un monteur

(Ou une monteuse).

Philosophie

Belle jeunesse, vraiment !

Assassin par vocation,

Écoutant ses parents,

Découpant ses voisins,

En se posant les questions importantes :

« C'est du jonc ou c'est de l'osier ? »

Suite en palindrome

Je suis l'esclave de l'esclave,

Je ne suis pas celui qui

Aime celle que j'aime,

Ni son maître,

Ni son destin,

Ni son esclave,

Ni son amour,

Je suis celle qui n'est pas moi,

Celle qui ne me parle pas,

Celle qui en moi se tait,

Pour ne pas entendre

Qu'elle est l'esclave de son esclave,

Ni elle en moi,

Ni moi en elle,

Je ne suis pas celui

Qui n'écrit pas ici,

Celui qui se tranche les veines

Avec le couteau de Lichtenberg,

Je le suis sans l'être,

Comme un chien

Qui ne mord que sa queue

Et se consume dans les ténèbres,

Privé d'odorat et assailli d'odeurs

De feu.



(à celle inouïe)

Ariodante

Elle est si légère, si vieille…

Je la prends dans mes bras

Et j'ai peur de la briser

Que mon amour la brise

Drame

Au bois touffu

Finis ton assiette

Et va rire près du feu

En barboteuse.

Quand débordent les hôpitaux

Les fous sont dehors :

La mort ne coûte rien

Mais quelle pitrerie !

Dans la glace

Il met son costume de Cafrine

Et s'observe longuement :

Plus qu'une oreille ce matin.

Comme le temps passe !

S'il est possible

C'est un sentiment ambigu

De danser si mal

Comme un duo flûte-piano

Alors que les femmes laides

Parlent à la radio

Préparatifs

Alors vous croyez qu'il faut se lever ?

Oui, Madame.

Allons faire frou-frou

Dans les feuilles mortes

Et après, nous irons

Masser le Général.

Il faut absolument qu'il se marie !

Foutu !

C'était vingt-six calembours comme

Roulement de tambour,

Une danse dans le noir

Et sa main dans la poire,

Elle me griffe, elle crache,

Je la gifle, son sein je mâche,

Et je suis moussu et tout décousu.

Foutu, foutu, foutu !

Le Serpent dressé

C'était aux Invalides,

Je déambulais dans ce qui

Ressemblait à des ruelles indiennes,

Multicolores, précieuses…

Le choix est cornélien :

L'inconnue du bus

Ou la femme de ma vie ?

À ce moment-là, la clarinette du

Quatuor pour la fin du Temps,

Et je vois ses orteils :

Quel dommage !

On ne pourra donc

Jamais y mettre du vernis ?

C'est le mois de mai

Il est onze heures onze,

Hal McKusick, avec Barry Galbraith,

Milt Hinton et Osie Johnson,

Le programme synthétique à 60°,

J'ai rêvé d'une inconnue,

Je réchauffe le café au micro-ondes,

Les piles de papiers sur la table…

Note

Corbeau ; renard ; éléphant.

Si l'on peine à montrer les acteurs

Alors la voie est ouverte

Et le ciel dégagé.

Quelle fatigue de devoir encore noter

La vérité !

Chut' la vie

Dites leur que l'Apocalypse est pour la semaine prochaine :

Vous les verrez emballer leur télé et manger leur chien,

Torturer la petite vieille du coin et rouler à deux cents.

Mais il faut rester optimiste et festif, la 3D arrive.

Petits machins

Ce soir c'est décidé, je m'embrasse.

J'ai mis "Petits machins"* sur le pick-up,

Je n'ai pas trop mangé,

J'ai fait mes assouplissements,

Je me suis parfumé…

Ce soir, je m'embrasse !


(*) Dans Filles du Kilimandjaro, de Miles Davis

Marseille

Marseille, ses avenues, ses nuages,

Ses tables d'opération, ses tables de bridge,

Et tous ces rendez-vous ratés,

Au bas des escaliers de la gare St Charles.

Pube

Ah, Papa, Papa !

Comment fait-il donc pour m'énerver tant que ça ?


Tout ça c'est une histoire de barbe, je t'assure.


Gros slip et contrebasse

Loteure est américaine, spécialiste de Chandler.

Le journaliste parle du « Big Slip »…

(Quand je serai mort, j'apprendrai la contrebasse.)

La traductrice se gratte un furoncle, à la cuisse.

Phéochromocytome

Claire Chazal a mon âge, exactement.

Je me demande si elle est atteinte

D'un phéochromocytome.


Lento molto, on y va…

L'Histoire

El Pataquès serait prêt à attaquer les Kagi !

L'amiral Cuir est déjà au travail,

Le nez sur ses cartes perforées.


Et tout ça pour une culotte de dentelle ?

Dîner

Caulaincourt et Talleyrand se sont échappés,

Toute la place est en émoi, encore.

Ils rentreront ce soir, cependant,

À l'heure des croquettes, sûrement,

On les connaît.

Je ne voudrais pas rater

Mon rendez-vous avec la Walewska :

Elle a préparé une tourte au chou,

Magistrale.

À la corde

Il veut se rendre au bord de l'abîme

Mais à chaque fois qu'il s'en approche

Un inconnu fait une rature dans le ciel.

Un sentiment de légèreté l'envahit alors :

Tout est râle, tout est rire.

Mutatis mutandis

A téléphone à Z.

Z a "un double-appel", il met A en attente

Et parle avec Y.

A, qui patiente, a un double-appel, c'est B,

Qui appelle de la part de C.

C, justement appelle Y,

Et par conséquence Z reprend A,

Qui met alors B en attente.

C'est le moment que choisit D pour

Vérifier que B a bien appelé A,

Car D est un bon ami de B,

Ce qui ne l'empêche pas d'être muet…

Pendant ce temps-là, Thomas Tallis

Compose Spem in alium

Et nous avons une coupure d'Internet.

Pas de fleurs pour Faconde

— Ne reste pas dans mes jupons, Kagi !

— Faconde, je vous rappelle que vous êtes morte…

— Tu peux me remettre les Pêcheurs de perles

Pendant que je me reboutonne ?

Et jette ces fleurs, voyons,

De quoi j'ai l'air avec ça !

Erinnerung

Est-ce l'enthousiasme qu'elle met

À sauter sur le lit au matin ?

Est-ce l'odeur de tes cuisses ouvertes ?

Et ce verre de vin, alors que

Nous écoutons Frühlingsmorgen,

Dans l'orchestration de Luciano Berio,

Est-ce encore la Joie ?

Ces chapeaux qui te vont si bien ?

— La Joie me rend l'adieu si cruel…

La Coiffeuse et les demi-tons

Nicole, sous le casque,

Achève le troisième tome

De Napoléon empereur des rois.

La coiffeuse sent des aisselles

Et sifflote le thème de l'andante.

« Vous êtes viennoise ? »

Tous ces violoncelles,

Est-ce bien nécessaire ?

Lever

J'ai un réveil exotique,

Souple comme une sotie,

Rapide comme un théorème.

Ce matin il m'annonce qu'il est midi

Alors que le soleil se lève à peine.

Achille m'apporte un croissant

Et fond en larmes.

Sous le casque

Kagi casqué, dans son tank couleur sable,

Écoute la Deuxième de Mahler.

Ça lui donne des idées,

Mais le coup de la résurrection

Est peut-être éventé ?

Écoutons plutôt l'histoire tragique

Qu'il a à nous conter.

Debout

Attablés par dix, ils se taisent.

Le violoniste, seul, debout,

Les regarde en fumant une cigarette,

Son instrument dans la main gauche.

Non, décidément,

Ça n'en vaut pas la peine.

À la mémoire d'Edouard

Pour le loir dans l'armoire

Qui ne peut y croire

Dans le noir,

Il faut presser la poire

Tout au long du soir

Pour éviter le désespoir

De ne plus pouvoir

Ni savoir ni boire.

Les petits oiseaux, fable romantique

Il a ça dans le boyau,

Le bonhomme, je regrette.

Hardi petit, du sang bien dégoulinant,

Nous avons fait notre devoir.

(Hommage à Louis-Ferdinand Céline)

Strophe

Une île flottante avec son caramel,

Un œil de verre, avec ses larmes,

Un fauteuil roulant, vide.

Et la Terre qui tourne plus vite.

Prime-time

Parce que vous savez que vous allez mourir !

Je le savais avant, mais depuis (…) j'ai oublié.

« Y a-t-il de véritables alternatives au nucléaire ? »

Ne me faites donc pas rire, Johnson Johnson,

C'est mauvais pour ma digestion !

Alla breve

Chef, je ne comprends pas ta battue !

Le petit soldat au cœur de timbre

Plie le genou et s'enfonce

L'archet dans la gorge.

Oui, c'est ça

L'ennemi dans l'ombre se repose

Pourquoi rouler à droite

Elle finira par dire oui

L'été n'est plus très loin

Dring ding dring

Allonge-toi n'aies pas peur

Tu me rejoindras au Brésil

Loisirs

Ils me soupçonnaient d'être un agent double,

Tout ça parce que j'étais allé

À Annecy sans idée préconçue.

Si vous croyez que ça m'amuse

De tirer sur les gens !

En train

Son commencement de double-menton

Était la plus jolie chose qu'elle avait

Mais elle l'ignorait.

Elle mit ses gants de peau blancs

Et regarda par la fenêtre.

J'allumai une cigarette

Et commençai à lire :

Le Gland et la Citrouille.

Photostop

Le lundi, je fais du photostop.

Une image passe, je tends le pouce

Et si elle s'arrête, je monte.

Tu prends combien, Chérie ?

L'autre jour, une beauté en noir et blanc

Me fait : « En voiture, Simon ! »

Je me suis aperçu trop tard

Qu'elle était mal fixée.

Cadrage

Vous avez dit que j'étais là, Marilou ?

Grands arpèges de harpe.

Le bleu du ciel est désespérant, n'est-ce pas ?

Triangle.

Elle baisse son pantalon et sa culotte

D'un même geste.

Violon

Savoir jouer du violon c'est

Comme discuter avec Dieu

Sans traducteur.

Dernier repas

J'ai commandé les croquettes les plus chères du monde !

Avant l'apocalypse tout est permis !

On écoutera

Le troisième concerto pour violon de Mozart,

On mangera du Beluga.

Pendant ce temps-là, à la radio,

L'abbé Godot mange ses syllabes.

L'examen d'Irma Melon

— Le Concerto de Sein Sens !

— Ah non, pas encore celui-ci !

— Si si si, en si.

— Ce sera à vos risques et périls.

— Je n'ai pas mon aréole dans ma poche !

(Elle ne va tout de même pas jouer en bonnet ?)


(à la mémoire d'un ange…)

(…)

Tout est si joli

Je m'allonge pour dormir

Et la nuit m'appartient

(…)

Le Pianiste mystérieux

Cette nuit Papa jouait la Sonate de Franck,

En bas.

— Mais qui était le pianiste ?

Pas moi en tout cas, puisque j'étais en haut

Avec Maman,

Assis sur un banc.

(Je lui jouais du Mendelssohn au violoncelle.)

Fugue indéfinie

Kagi et Kagi constituent

Le Sujet et le Contresujet

D'une économie fugale.

À ce régime-là, on conçoit

Qu'ils n'engrossent pas, ni ne procréent,

Bien qu'ils soient de signes inverses.

Le Rétrograde est leur maison commune,

La Réaction leur combustible.

Dans la boucle étrange qui les désunit

On peut suivre la ronde explosive,

Coiffée de son point d'orgue,

Qui n'avance ni ne recule.

Ronde !

Tant qu'on a l'asanté…

Oui, Monsieur, l'asanté,

C'est toute l'histoire du monde

Et c'est pour cela qu'elle est ronde.

Lancez une paire de dés

Et ce que je dis vous verrez !

En sortant du concert

L'affection est aussi un fardeau qui oppresse,

Comme une liturgie pleine de graisses.

Excellent ! Excellent ! disait l'Imberbe,

Faisons jouer les timbales du Verbe !

Inspiration

Salope, connasse, pouffiasse,

Merdeuse, caissière, chaisière,

Imbécile, tarée, …

Même pas foutu de trouver onze insultes,

Le pauvre Kagi.


(Reprenons un verre.)

Conseil aux modernes

Premièrement : faire l'amour.

Deuxièmement : bâfrer.

Troisièmement : se saouler.

Quatrièmement : réparer les autorisations.

Lux, calme

Kagi se lève en pleine nuit.

Il n'éclaire pas, il connaît le chemin.

Et là, dans les toilettes silencieuses,

Il voit un homme qui clignote du cœur.

(Il entend le récitatif de la sonate de Franck,

Les arpèges du piano, qui montent,

Qui montent…)

« I Loves You, Porgy »

Avant de mourir, j'aurais aimé qu'elle dise oui.

On a trouvé cette simple phrase écrite au crayon

Sur la page de garde d'une partition d'occasion.